"Sonder les Ciels", Victoria Konetzki, Galerie La Maison des Quais, 2019

Annonciation, huile sur lin, 2017, 153 x 183 cm

Annonciation, huile sur lin, 2017, 153 x 183 cm

­Sonder les ciels

 

Ce sont des ciels vus depuis la terre, vus depuis les Hommes, vus depuis la solitude de l’artiste qui se dresse, romantique, devant l’immense nature.

Ces ciels qui exaspèrent la palette du coloriste, comment en peindre la couleur changeante ? Comment rendre visible l’infini nuancier de ce monde nous surplombant?

Réduire la palette et faire danser les jaunes, les bleus et les rouges comme les maîtres impressionnistes ? Ou se laisser emporter dans un délire synesthésique où chaque couleur est une note, où chaque note est un nuage ?

Ou bien, tenter de pénétrer dans la matière du ciel pour en débusquer la couleur évanescente, l’invisible coloré, à l’instar des Classiques en quête du « coloris-humeur »?

Dans les œuvres du peintre Frédéric Choisel, on saisit par la vue les humeurs d’un ciel d’essence intangible : ocre, orange, vert de vessie, violine, terre d’ombre et noir bilieux. Les nuages dans leurs nimbes épiphaniques parlent en qualité d’oracle. Leurs messages sont de bon ou de mauvais augure selon que le ciel est dégagé ou menaçant.

Lorsque le ciel se charge, il s’apparente aux visions apocalyptiques de temps antérieurs ou à venir. Partout, une nudité aride, des étendues sombres qui avancent vers un horizon d’où ne point aucune Jérusalem. Une carcasse goudronnée affleure d’une eau saumâtre en dernier reliquat de la vie humaine.

 

Cette « inquiétance » qui vibre dans plusieurs des toiles de l’artiste traduit la crainte d’un dieu ou d’une nature qui a le pouvoir de tout anéantir, nous laissant ainsi devant le spectacle halluciné d’un ciel mauve.

Il y a également des toiles qui frappent par leurs tout autres esthétiques. Le peintre qui oscille entre l’art figuratif et l’art abstrait, concilie les formes à l’aide de différentes techniques : au pinceau et à la peinture à l’huile pour les ciels, au couteau et au goudron pour les formes terrestres. Le geste abstrait vient entacher la toile, dompter les nuages de ses multiples assauts, couvrir de fange et de ronces la pureté du ciel. Ces opérations mutilent et hybrident les œuvres qui de facto, s’inscrivent dans le champ discursif et réflexif de la peinture contemporaine.

Enfin ce que l’on perçoit, c’est bien que, derrière l’entreprise de peindre des ciels se cache une initiation au mystère, une conquête ou une reconquête du geste de peindre, un désir de sonder les ciels pour mieux appréhender la vie sur terre.

 Victoria Konetzki

"Le Pari du Ciel" Jean Pierre Delest, gallerie Caroline Tresca, Paris, Novembre 2016

"Le Dormeur du Val", 2016

"Le Dormeur du Val", 2016

De l’air ! Une sortie par le haut. Un idéal derrière les nuages. Frédéric Choisel s’envole et nous convie à garder la tête en l’air. La galerie Caroline Tresca avait exposé ses vues de New-York, son édifiante transfiguration abstraite des élévations de Manhattan fixées sur le papier au pastel et à l’encre. Le voici cette fois « … au-dessus des vallées, des montagnes, des bois, des nuages, des mers, par delà le soleil, par delà les éthers, par delà les confins des sphères étoilées. » (Charles Baudelaire – Élévation, Les Fleurs du mal).

Que cherche-t- il maintenant ? Où tient-il à nous mener à travers ses nuages épais qu’une trouée de ciel parvient à percer ? La lumière y est douce (Élévation) ou bien inquiétante comme celle d’une journée sanglante (Le dormeur du val).

Frédéric Choisel fait une proposition. Il invite à s’éloigner de la futilité, à élever notre regard, sinon le niveau de notre conscience. Une manière de prendre de la hauteur en se dégageant d’une matière pesante, substance alourdie du quotidien, marasme des pensées, des jugements et des craintes. Le peintre est spirituel et prend le poète pour complice. Ensemble, ils nous invitent au voyage. Le ciel s’ouvre, et, à travers lui, le ciel de chacun se dégage, nous laissant passer de l’ombre à la lumière. Pour autant, il n’y a pas de naïveté dans ces tableaux et Baudelaire comme Rimbaud ne sont pas des joyeux drilles. D’ailleurs, la savante légèreté de leurs poèmes révèle vite une tension funeste.

Que se passe-t-il alors sous le ciel maintenant que nous sommes un oiseau ? Le peintre choisit son motif et montre l’éther. Il laisse à chacun le soin de combler le vide. Éther puissant, tourmenté de sombres masses. Idéal naturel fiévreux, reflet inquiet d’une âme pure. Que peut-on craindre au milieu des nuées sinon la fin du vol. Est-ce pour cela que ces toiles de grand format se divisent en deux parties ?

En effet, le ciel domine dans un carré vertueux, mais à sa base, pour nous rappeler l’ordre du monde, une pièce de toile plus étroite fixe invariablement un amalgame végétal qui semble tendre un filet de branches pour mieux happer notre oeil et notre liberté. Le poète ne dit rien de plus lorsqu’il convoque les mots comme autant de témoins de son idéal contrarié. Frédéric Choisel précise : « Dans un monde ravagé par les croyances religieuses, par les dogmes politiques qui nous divisent, une chose reste en commun, nous regardons tous vers le ciel. Dans les grands diptyques, la partie supérieure des ciels représente la transformation de nos souffrances. La partie inférieur notre monde animal terrestre, les conflits des choses de la vie. »

Une sortie par le haut, disions-nous. Voyons-y également une percée dans le temps puisque Frédéric Choisel évoque à sa manière les ciels du XVIIIe siècle de Canaletto ou de Tiepolo, voire ceux de Boucher mais aussi les ciels plus récents que Richter peint dans les années 1970, des ciels dans lesquels la luminosité solaire fait de la lumière naturelle la protagoniste principale de la toile. La lumière métaphore de la vérité. Une manière d’ouvrir un champ nouveau. Finalement, comme un passeur, Frédéric Choisel nous pilote en cheminant entre la tradition et la modernité, entre le passé et l’avenir, entre le bouillonnement de nos vies et l’espoir.

Jean-Pierre Delest